Extrait de Kaboul Café
(en hommage au superbe “the Great Gatsby” de F. Scott Fitzgerald)
Les Amours d’Albert Gants
Dans un hall aux lumières tamisées
et aux rideaux bouillonnés se tenait
sur le guéridon marqueté, un chandelier qui parlait
sept branches avec des bougies de savoir enflammées.
Plus loin, la bibliothèque dissertait en perse
mais n’entendait rien au latin et s’ouvrait
sur un bureau en capharnaüm princier.
Savamment étudié, derrière le bureau empire
disparaissait un passage secret
sous une antique fresque couleur de grès.
Mais le plus splendide était sans nul doute
la verrière victorienne de style
dont les plantes ébouriffaient leurs luxuriances
ivres de soleil, de chaleur et de pleine lune.
Et là, au milieu, trônaient le noir piano à queue,
les invités et le propriétaire des lieux.
Toute la jet set de Long Island en habit de soirée
était au complet chez Albert Gants.
Le champagne à flot coulait autour des danseuses de Ragtime.
Elles s’agitaient sur les tables dans un rythme effréné
un verre dans une main et tenant de l’autre
dans un éclat de rire leur sautoir en perles de nacre
qu’elles faisaient virevolter comme endiablés.
Au Black Jack on jouait et les havanes on fumait.
Ça piaillaient et on s’étreignait à s’étouffer.
Sous les pieds, le plancher menaçait de s’écrouler.
Mais d’autres avaient des masques de chair triste
comme le propriétaire des lieux
devant son révolver
la main fiévreuse et les pensées filamenteuses.
Il éclusait le champagne accoudé au balcon de pierre.
Il éclusait comme on se jette d’un dernier étage
sans s’attarder sur le paysage
ni faire sa prière.
Il est des meurtrissures de la chair
que certains ne libèrent.
La soirée repartait à la hausse.
Sur les murs les ombres mouvantes des danseurs
composaient un ballet enflammé
qui contrefaisait la danse des vivants.
Mr Gants, champagne en main, quitta des yeux
les précipices et les révolvers
pour reprendre d’un sourire las
la parodie de la vie
sur un air de Ragtime
mais, le cœur en débris.
On ne sut jamais
quelle femme avait ainsi triomphé de ses pensées.
Seule, l’ombre en dentelle d’une blonde lady
laissait supposer que de cette soirée
elle en avait été la si mystérieuse invitée.
C’est ainsi qu’Albert Gants
entra dans la légende
comme le bel homme riche et triste